Paris VIe, 18 septembre 2015, 6 heures du matin
Vendredi 18 septembre 2015, six heures quinze du matin, à une heure où l’activité renaissante allait in crescendo, un camion de GRDF[i] s’arrêta à la hauteur du numéro 22 de la rue "Monsieur le Prince" interrompant totalement la circulation pendant plus d’une heure. Le chauffeur avait volontairement garé son véhicule à cinquante mètres de la zone suspecte en prenant soin de limiter les risques en cas d’explosion. Contrairement aux pompiers qui laissent tourner le moteur durant toute l’intervention, le conducteur coupa le contact dès que le véhicule fut immobilisé. Par la suite, tout se déroula très vite. Les cinq agents de la compagnie sortirent en toute hâte du véhicule, trois d’entre eux se précipitèrent dans l’immeuble signalé comme dangereux, pendant que les deux autres s’employaient à faire rebrousser chemin aux automobilistes qui s’étaient imprudemment engagés dans la rue. L’un d’entre eux, très en colère, les menaça de faire le coup de poing s’il n’obtenait pas satisfaction. Difficile de garder son calme dans de telles conditions. Si l’appel au civisme ne servait à rien avec de tels énergumènes, le poids de certains mots, comme gaz, explosion, danger étaient accessibles à tous, y compris au chauffeur irascible qui pris de panique enclencha la marche arrière et disparut sans demander son reste.
Le plus jeune des deux employés affectés à la circulation regarda sa montre, elle affichait six heures vingt-cinq, il se tourna vers son collègue :
— Nous avons de la chance, une heure de plus, et le trafic aurait été si dense que nous aurions été dans l’impossibilité de juguler le flot des automobilistes.
— Raison de plus pour parer à toute récidive.
Ils retirèrent du camion deux barrières de sécurité qu’ils placèrent au carrefour de la rue Casimir Delavigne afin d’interdire l’accès à tout nouveau véhicule, excepté celui du SAMU qu’ils venaient d’appeler à la rescousse et bien évidemment de la police qu’ils guettaient comme le retour du messie, car en l’absence des forces de l’ordre, ils avaient toutes les peines du monde à contenir les badauds qui commençaient à affluer sur le trottoir.
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La compagnie du gaz avait été avertie une quinzaine de minutes plus tôt par un dénommé monsieur Gentil, un voisin qui sortait promener son chien. En passant devant la porte palière, il avait senti une forte odeur de gaz et son chien s’était mis à hurler à la mort. L’homme ne perdit pas son sang-froid, il se rappela à temps que la moindre étincelle pouvait être fatale et malgré le désir d’appeler les secours, il attendit de se retrouver dans la rue avant d’utiliser son portable. Les employés avaient fait diligence pour se rendre sur les lieux de ce qui aurait pu devenir le théâtre d’un drame. Ces hommes aguerris aux conditions difficiles investirent l'immeuble dans le calme, après avoir pris la peine d’enfiler leur masque à gaz. Les émanations détectées par leur appareil de mesure étaient suffisamment fortes pour déclencher une catastrophe, une raison suffisante de prendre toutes les précautions.
Leur mission première était de stopper la fuite. Ici pas besoin de longues investigations tant l’origine de la fuite était évidente, il suffisait de regarder la gazinière pour comprendre. Les quatre robinets étaient grand ouverts, un classique avec les candidats au suicide. Ce fut un jeu d’enfant de les fermer et d’ouvrir les fenêtres en grand pour chasser les vapeurs mortelles qui menaçaient à tout moment de faire exploser l’immeuble. Tout risque n’était pas complètement écarté, la concentration de gaz était telle que la moindre étincelle pouvait provoquer une catastrophe.
Six heures trente-trois minutes, le camion du SAMU réussit à se frayer un chemin jusqu’à la barrière, les deux agents du gaz laissèrent pénétrer le véhicule et refermèrent la voie au nez et à la barbe d’un commerçant qui arguait d’une livraison urgente pour s’aventurer dans la rue. Dès qu’il réalisa qu’il y avait un risque d’explosion, son ardeur à braver des agents démunis de tout pouvoir verbalisateur fit place à la peur il bredouilla deux, trois mots en guise d’excuses et fit demi-tour.
Le dialogue entre les infirmiers et les employés de GRDF fut des plus concis :
— Il y a un blessé, paraît-il ?
— Oui, mais nous ne savons pas s’il est encore en vie.