Meurtres à Angoulins

2012, une année d’élection.

 

C

ette année, deux échéances électorales majeures attendaient les Français. Le 22 avril et le 6 mai, les citoyens étaient conviés à élire l’Homme qui allait présider aux destinées du pays pendant les cinq prochaines années et six semaines plus tard, les 10 et 17 juin, ils procédaient au renouvèlement de l’Assemblée nationale.

Depuis le début de l’année, les médias s’en donnaient à cœur joie. L’actualité était chargée, entre les élections, la crise mondiale et les attaques sur l’euro, les journalistes ne chômaient pas.

 L’actualité internationale, quant à elle, était aussi présente avec son cortège habituel de drames dans lequel la Syrie prenait jour après jour, une place plus prépondérante. Ce fut dans ce contexte tendu que l’affaire Moreau éclipsa pendant quelques jours le reste des actualités.

Le 11 mai, un article paru dans le Sud-Ouest, un des grands journaux régionaux, faisait la une sur un fait divers qui allait passionner les Français. Le pays se trouvait dans le creux de la vague médiatique. Le nouveau Président, François Hollande et son gouvernement prenaient les premières mesures du quinquennat. La campagne électorale pour les législatives ne passionnait pas les Français, les jeux paraissant faits d’avance.

 

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L’arrivée du commissaire Duval.

 

 Châtelaillon-plage, vendredi 1er juin 2012, 18 h

 

L

e Commissaire Raymond Duval regarda sa montre, elle affichait un peu plus de 18 heures. Il marchait lentement sur le trottoir du boulevard de La République, les gens se retournaient sur lui et le regardaient avec curiosité, car il semblait parler tout seul, un peu comme ces personnes âgées qui commencent à perdre la tête. Pourtant, il n’avait pas l’air vieux du tout, la cinquantaine à peine, les cheveux coupés très courts. Un léger embonpoint qui s’estompait lorsqu’il rentrait son ventre. Sa grande taille, il approchait du mètre quatre-vingt-dix, et son allure générale le rendaient sûr de lui. Il donnait l’impression à ce moment d’en vouloir au monde entier et le faisait savoir à la cantonade :

— Je n’ai plus le temps de faire du tourisme, dommage le ciel est bleu et pas un souffle de vent. Tout cela par leur faute, disait-il à haute voix.

 En fait, il parlait à sa femme dans le micro de son mobile. Comme il s’agissait d’un modèle récent et ultra performant, quasi invisible, les passants croyaient réellement qu’il se parlait à lui-même.

— J’arrive près de la gendarmerie, je vais te laisser, je t’appellerai avant d’aller me coucher.

Puis, baissant la voix pour ne pas être entendu, il lui dit « Je t’aime », avant de raccrocher et de mettre son mobile en mode vibreur.

Enfin délivré de toutes conversations, il hâta le pas, ressem­blant beaucoup plus à un marcheur du Paris-Strasbourg [i] qu’à un touriste. Il avait rendez-vous à dix-huit heures avec le capitaine de gendarmerie de Châtelaillon, Gérard Piot, et le risque d’arriver en retard le mettait de fort mauvaise humeur.

Le rapprochement Police Gendarmerie, tout le monde en parlait depuis des années. Le passage des deux corps chargés du maintien de l’ordre dans le pays sous l’autorité du ministre de l’Intérieur n’avait pas suffi à taire toutes les rancœurs.

Le commissaire était bougon en cette fin d’après-midi, cela ne le changeait guère de son état habituel. Il venait de passer 5 heures dans le TGV, à cause d’un colis piégé, un comble pour lui. Deux heures de perdues, imputables à une mauvaise coordination entre la police et la gendarmerie. Plus d’une heure à se décider, qui des deux se rendrait sur les lieux.

Arrivé en gare de La Rochelle, il avait dû patienter et attendre la navette qui desservait Châtelaillon. Il regretta par la suite de ne pas avoir pris un taxi.

Cette entrevue promettait. Depuis deux mois, les gendarmes pataugeaient dans cette affaire de meurtres. Il avait fallu un coup de gueule du cabinet du ministre pour que l’investigation lui soit confiée. Il allait maintenant devoir gérer cela à chaud, sous les projecteurs des journalistes et de la télé. Trois morts en deux mois, deux, de trop pour le commissaire Duval. Pourquoi, dès le premier n’avait-on pas fait appel à lui ? Il n’était pas le Bon Dieu certes, mais il aurait pu, depuis le temps, ouvrir des pistes sérieuses. Tout était à reprendre à zéro.

Le capitaine Piot ne faisait pas la même analyse et ne comprenait pas pourquoi, on lui retirait cette enquête. Avec son équipe, ils avaient tiré de nombreuses indications et recueilli des tonnes d’informations en très peu de temps. C’était injuste. Confier la résolution de cette énigme à la police ! Celle-ci n’avait plus qu’à récupérer leur travail.

 

Le commissaire Duval tenait une place à part à la P.J. Il se démarquait de ses collègues qui avaient été formés aux méthodes modernes de la police. Sa mise à l’écart du quai des Orfèvres avait été évoquée plusieurs fois en haut lieu. Sa place ne tenait qu’à un fil. On lui reprochait de ne pas se fondre dans le moule et ses succès lui attiraient la jalousie de ses collègues. Le premier faux pas lui serait fatal, ses résultats l’avaient jusqu’à présent sauvé, mais pour combien de temps ? À cinquante ans, une mise au placard serait lourde de conséquences. Son flair ne l’avait pas encore trahi, mais lors des dernières enquêtes, il avait été obligé de faire appel aux scientifiques pour le petit coup pouce. Pourquoi, ne lui confiait-on pas des enquêtes tranquilles ? Pour cette fois encore, il devait faire des prouesses. L’échec, il préférait ne pas y penser, mais le doute commençait à s’installer en lui.

 



[i] Paris-Strasbourg épreuve sportive de marche créée en 1926 par Émile Antoine, l’épreuve s’appelle dans un premier temps Strasbourg-Paris puis Paris-Strasbourg. Depuis 1981 elle porte le nom de Paris-Colmar. Les compétiteurs marchent pendant 500 kilomètres pendant une soixantaine d’heures pour les plus performants.

 

 

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Date de dernière mise à jour : 06/03/2022

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