Quand le passé frappe à la porte

Un départ mystérieux

Je venais tout juste de souffler mes vingt-cinq bougies, quand se produisirent à deux jours d’intervalle deux drames qui nous privaient, ma sœur et moi, de nos parents. Les fossoyeurs œuvraient encore autour de la pierre tombale pour refermer le caveau familial dans lequel, maman reposait désor­mais, lorsqu’à la surprise générale, notre père décida de nous abandonner en plein après-midi sans fournir la moindre explication sur les raisons de son départ.

L’annonce du décès de notre mère, deux jours plus tôt, nous avait bouleversés. La perte d’un être cher est toujours une épreuve difficile à supporter surtout lorsqu’elle n’est pas prévisible comme c’est souvent le cas pour un accident.

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La Rochelle, lundi 25 août 2014

 

Mon diplôme d’ingénieur fraîchement en poche, j’avais eu la chance de décrocher un rendez-vous avec le directeur de la produc­tion d’Alstom[i] à Aytré près de La Rochelle. Afin de mettre toutes les chances de mon côté, j’avais décidé de troquer mon éternel jean délavé contre une tenue plus en rapport avec l’emploi. Je n’avais pas hésité à casser ma tire­lire pour acheter chez Burton un complet sombre de coupe classique qui correspondait mieux à l’image que je me faisais des cadres supérieurs. J’avais coupé mon portable avant la réunion par politesse envers mon interlocuteur qui aurait certainement peu aimé que notre conversation soit interrompue par une sonnerie de téléphone aussi mélodieuse ou originale soit-elle.

Une personne d’une quarantaine d’années en tenue décontractée vint à ma rencontre, je crus tout d’abord qu’il s’agissait d’un secrétaire chargé de me conduire auprès du directeur, quant à ma grande surprise il me demanda :

— Vous êtes bien Didier Bourjois, vous m’avez écrit pour obtenir un entretien. Suivez-moi, j’ai dû céder mon bureau à mon collègue des achats qui doit accueillir un fournisseur, même en province, nous n’échappons pas à la crise du loge­ment. J’ai réservé une petite salle près de la cafétéria, le décor est moins lugubre.

Légèrement déstabilisé par cette entrée en matière, je bafouillai quelques mots avant de pouvoir reprendre mes esprits. Le directeur me complimenta sur ma tenue vestimentaire en des termes qui me firent regretter les sommes engagées.

 

 Une fois seul dans la rue, à l’aune des questions qui m’avaient été posées et de la piètre qualité de mes réponses, je supputais mes chances d’être embauché. Comme je suis d’un naturel plutôt optimiste, je les estimais à un peu plus de cinquante pour cent, ce qui n’était toutefois pas suffisant pour faire la fête. Moi qui avais promis à mon père de l’appeler pour le tenir au courant, je ne voyais pas l’intérêt de me précipiter pour lui annoncer que je devais patienter jusqu’au lendemain pour être fixé sur mon sort. Tout reposait désormais sur les épaules du responsable du bureau d’étude avec qui j’avais rendez-vous en fin de matinée. Que le fait que je n’ai pas réussi à séduire par mes réponses le directeur de la production ne soit pas de bon augure, j’en étais conscient, mais je croisais les doigts et espérais encore y croire. Perdu dans mes songes, j’avais totalement oublié de réactiver le smartphone[ii]. En début de soirée, quand mon estomac se rappela à mon bon souvenir, je voulus vérifier l’exactitude de mon horloge biologique et oh ! Surprise, je constatai que ma montre n’était plus à mon poignet. Après m’être traité trois fois d’idiot, appellation amplement méritée, car depuis le temps que le bracelet donnait des signes de fatigue j’aurais dû prendre des dispositions. En sortant mon téléphone de ma poche pour avoir l’heure, je m’aperçus, sans en être véritablement étonné, qu’il était toujours éteint. Les bips n’en finissaient pas de retentir pour me prévenir que le journal des appels contenait plus de dix messages non lus ainsi que deux SMS. Je les fis défiler sur l’écran, tous provenaient de ma sœur Émilie. Cette frénésie de tentatives pour me joindre ne ressemblait en rien à ses habitudes, elle qui était plutôt de nature discrète. Même le désir de savoir si j’étais recruté ne justifiait pas un tel acharnement. Il fallait une raison exceptionnelle. Dès que j’appris la catastrophe, j’abandonnai mes démarches de recherche d’emploi et me précipitai dans le premier TGV pour Paris.

 

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Saint-Mandé, lundi 25 août 2014, peu avant minuit

 

Ma sœur, mon aînée d’un an, avait quitté dès le début de ses études supérieures la sphère parentale pour habiter un minuscule studio dans le XVe à Paris. Elle ne supportait plus les disputes qui éclataient régulièrement à propos de tout ou de rien. Elle avait besoin de calme pour réviser. C’était l’argument qu’elle avait mis en avant pour obtenir sa liberté, en fait c’était surtout pour vivre avec son petit ami de l’époque. Avec ma sœur, nous étions très proches et son départ m’avait réellement affecté. J’en voulais à mes parents de ne pas l’avoir retenue. Quand ce fut à mon tour de m’inscrire dans une grande école, je ne suivis pas sa voie. Je décidai de ne pas quitter le cocon familial qui s’était entre-temps beaucoup assagi. La peur que j’emprunte les traces d’Émilie avait joué à plein. Je me gardai d’avouer que le manque de moyens était la raison principale de cette apparente bienveillance à leur égard. En restant chez eux, je n’étais pas libre de mes faits et gestes et cela me pesait de devoir composer. À vingt ans, quoi de plus naturel que de vivre sa vie ? Plus de cent fois, je faillis partir, mais l’argent, toujours l’argent, me rappelait à son bon souvenir.

 

À cause de l’interruption prolongée de mon portable, les policiers ne purent me joindre et appelèrent ma sœur, la deuxième personne dans l’ordre sur la liste que mon père leur avait fournie. Émilie se rendit immédiatement auprès de notre père, ce qui expliquait qu’elle était déjà sur place lorsque je fis irruption dans la cour de notre maison de Saint-Mandé. Je n’arrivais toujours pas à croire que je ne reverrais plus maman. Je voulais questionner papa afin de comprendre comment un tel drame avait pu nous frapper, mais je n’en eus pas le temps, car Émilie guettait ma venue, elle tenait à me prévenir que quelque chose ne tournait pas rond chez papa. Je lui rétorquai que je n’y voyais rien d’anormal compte tenu des circonstances, mais je dus reconnaître par la suite qu’elle n’avait pas tort.

 

 L’attitude de notre père était pour la moins surprenante, nous nous attendions à trouver un homme désespéré, abattu, or le chagrin avait cédé le pas à la peur et à la colère. Pas de larme, juste un calme inquiétant ponctué par des propos dans lesquels il s’accusait d’être responsable alors que le rapport de police mentionnait que c’était son épouse qui était au volant. Impossible d’obtenir plus de précisions de sa part. Sans nous consulter, nous avions très rapidement admis qu’il culpabilisait et que si faute, il avait commise, c’était d’avoir laissé sa femme conduire plusieurs heures sans la relayer. Difficile de lui reprocher de ne pas s’être imposé, pour qui connaissait le caractère entier de ma mère. Au cours des deux journées de préparatifs, notre père, outre ses moments de reproche qu’il ressassait régulièrement, s’était dépensé sans compter pour accueillir ceux qui venaient nous assister dans cet ultime instant. L’impression générale qu’il diffusait était celle d’un homme au sang-froid remarquable, limite de l’indifférence.

 

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[i] Alstom

Alstom (originellement Als-Thom, puis Alsthom en 1932, puis Alsthom Atlantique en 1976, puis Gec-Alsthom en 1989 et Alstom depuis 1995,6) est une société anonyme basée en France spécialisée dans les secteurs des transports, principalement ferroviaires (trains, tramways et métros), et de la production d’énergie (centrales électriques et énergies renouvelables).

À l’origine Als-Thom, contraction d’« Alsace » et de « Thomson », devenue Alsthom, était le résultat de la fusion, réalisée en 1928, d’une partie de la Société alsacienne de constructions mécaniques (SACM) basée à Mulhouse puis à Belfort, spécialiste de la construction de locomotives, et de la Compagnie française Thomson-Houston (CFTH), société franco-américaine spécialiste des équipements de traction électrique ferroviaire et de la construction électromécanique. Auguste Detœuf en fut le premier administrateur délégué.

 

[ii] Smartphone

Un smartphoneordiphone ou téléphone intelligent, est un téléphone mobile évolué disposant des fonctions d’un assistant numérique personnel, d’un appareil photo numérique et d’un ordinateur portable. La saisie des données se fait le plus souvent par le biais d’un écran tactile ou, plus rarement d’un clavier ou d’un stylet. Selon le principe d’un ordinateur, il peut exécuter divers logiciels/applications grâce à un système d’exploitation spécialement conçu pour les mobiles, et donc en particulier fournir des fonctionnalités en plus de celles des téléphones mobiles classiques comme : l’agenda, la télévision, le calendrier, la navigation sur le Web, la consultation et l’envoi de courrier électronique, la géolocalisation, le dictaphone/magnétophone, la calculatrice, la boussole, l’accéléromètre, le gyroscope, la messagerie vocale visuelle, la cartographie numérique, etc. Les appareils les plus sophistiqués bénéficièrent rapidement de la reconnaissance vocale et de la synthèse vocale.

Il est possible de personnaliser son smartphone en y installant des applications additionnelles telles que des jeux ou des utilitaires via un magasin d’applications en ligne différent pour chaque système d’exploitation. Il est nécessaire d’avoir une connexion Internet haut débit par l’intermédiaire d’un réseau de téléphonie mobile pour pouvoir utiliser le maximum de leur potentiel. À partir de fin 2007 et du lancement de l’iPhone, ce marché s’étend considérablement jusqu’à dépasser en quelques années celui des téléphones mobiles « classiques ». En 2014, les ventes mondiales annuelles de smartphones dépassent le milliard.

 

 

 

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Date de dernière mise à jour : 06/03/2022

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